Le Labo

Le stress au travail : est-ce bon ou mauvais?

Faut-il l’éradiquer ou le maintenir ? On entend aujourd’hui tout et son contraire sur ce sujet…

« C’est fini. Les chantres du bon stress ont perdu. (…) Il est obligatoirement mauvais … ». Il faut donc l’éradiquer si l’on en croit cet article paru dans l’Usine nouvelle.

« Le stress n’est pas que souffrance (…)
Le bon stress c’est l’état physique dans lequel on se sent bien, en pleine possession de ses capacités et habité par un élan vers l’action »
. Il faut le développer selon cet autre article paru dans l’Express.

Alors que faut-il faire ? L’éliminer ? Apprendre à le gérer ?
S’en servir comme source de mobilisation et performance ?

Et si on commençait par se mettre d’accord sur le sens des mots ?

D’après l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, « Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception des contraintes qu’une personne a de son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».

Cette définition décrit en réalité une conséquence possible du stress et en l’occurrence, une conséquence négative qui, si elle perdure, affectera la santé psychologique mais également physique des personnes qui y seront soumises.

Mais à l’origine, le “stress” décrit un mécanisme d’adaptation biologique mis en évidence par Hans Selye en 1936.
Il s’agit d’une fonction vitale de l’être humain, une réaction de l’organisme lui permettant de mobiliser ses ressources pour s’adapter à son environnement et notamment à une situation inhabituelle telle qu’un danger (réel ou supposé), une problématique à enjeux, un challenge …

Stimulé, notre organisme déclenche des réactions en chaîne : augmentation de la sécrétion d’adrénaline, qui va accélérer la fréquence cardiaque et diriger le flux sanguin vers nos muscles, et du cortisol, qui entraîne un surplus d’énergie. Nous sommes en état d’alerte maximum, toutes nos ressources physiques et intellectuelles sont mobilisées et accrues pour trouver la solution à la situation. Sans cette mise en tension physique et psychique, nous ne saurions réagir face à une situation problématique.
« Sans stress, nous perdons notre capacité d’adaptation au monde », insiste Éric Albert, psychiatre, fondateur de l’Institut français de l’action sur le stress.

On lit ou entend fréquemment dire : scientifiquement, Il n’y a donc ni « bon », ni « mauvais » stress, mais un phénomène d’adaptation du corps rendu nécessaire par l’environnement.

Il nous semble pourtant difficile de ne pas considérer que ce phénomène d’adaptation qui permet à l’homme de bénéficier de ressources physiques et psychiques accrues pour faire face à une situation inhabituelle, n’est pas un « bon » mécanisme.

Il est par contre clair que les conséquences deviendront néfastes si un individu est exposé au stress dans la durée.

Il faut en effet distinguer  le stress ponctuel appelé « stress aigu », qui mobilise nos ressources, et le stress qui dure ou systématique dit « stress chronique », qui les épuise.

Le premier est une réaction de tout l’être en vue de faire face à une menace (réelle ou imaginée) ou à un enjeu ponctuel (confrontation à un conflit ; prise de parole en public ; retards divers alors qu’il faut respecter une heure ou une date limite ; lancement d’un projet ou envie de relever un défi…).  Cette réaction est à priori positive puisqu’elle développe les facultés à trouver une solution aux problèmes ou à réussir un challenge. Quand la situation prend fin, le stress s’arrête. La personne peut apprécier, savourer sa victoire ou le simple fait « de s’en être sorti ». Elle peut récupérer, retrouver des forces, reconstituer ses réserves.

Le stress chronique est une réponse de notre organisme à une situation de stress qui s’inscrit dans la durée (soit parce que le problème perdure, soit parce que l’objectif n’est ni atteint, ni remis en question). Il ne permet plus, ni de suffisamment récupérer, ni d’apprécier ce qui a pu être résolu. Ce stress Chronique peut donner le sentiment que nous n’arrivons plus ou que n’arriverons pas à faire face. Mais même lorsque l’individu reste optimiste et se sent stimulé par les challenges difficiles, ce stress finit par épuiser les défenses tant psychiques que physiques et être délétère pour la santé psychique et physique.

En résumé, le stress est un mécanisme intrinsèque à l’homme, censé favoriser sa capacité d’adaptation à des situations inaccoutumées.
Il s’agit donc à la base d’une réaction utile, voir salutaire dans certaines circonstances. Par contre, une personne exposée de façon continue à une ou des situations qui déclenchent constamment ce mécanisme, est en danger.

Faut-il éradiquer le stress ou le maintenir comme source de développement des potentiels?

Si on reprend ce qui a été exposé précédemment, on comprendra que la question ne peut pas se poser en ces termes.
Le stress est un mécanisme biologique d’adaptation intrinsèque à l’homme. Il ne peut donc être éliminé. C’est une bonne chose puisque sans son existence on peut se demander si l’homme aurait survécu à tous les dangers auquel il a dû riposter depuis son origine.

Il s’agit plutôt de se demander comment faire pour éviter que des personnes soient exposées à un stress chronique et donc à des conséquences néfastes pour leur santé. Autrement dit, comment ne conserver que le côté positif du mécanisme : développer nos capacités à faire face à des problèmes ou des défis.

On entend beaucoup parler de démarches telles que la prévention des risques psychosociaux, censées permettre de détecter les sources de stress afin de les éliminer.
Il nous semble que c’est une bonne idée de chercher à supprimer les sources de stress inutiles et relativement faciles à faire disparaître (la mise en place, faute de clairvoyance, de changements qui n’ont pas de réels fondements et peu de chances d’apporter un mieux ; le manque d’informations qui génère des inquiétudes faute de savoir ; des objectifs irréalistes ou des directives injustifiées ; des attitudes relationnelles intimidantes, conflictuelles ou malveillante ; des conditions difficiles qui pourraient être améliorées…)

Il est par contre irréaliste d’imaginer qu’on pourrait éradiquer, comme évoqué dans l’un des articles cités en titre, toutes sources de stress.
D’abord parce que le lieu de travail sera toujours, et de plus en plus, source de tensions. Il y aura toujours des imprévus, des problèmes de tous ordres à régler.  L’entreprise est confrontée à des contextes concurrentiels, économiques, politiques de plus en plus complexes, à des changements de plus en plus fréquents et rapides. Elle doit s’adapter en permanence, ses équipes aussi.
Ensuite parce que les sources de stress ne sont pas qu’externes à l’individu. Elles sont aussi intrapsychiques, liées à sa personnalité, à une anxiété qui peut être chronique, à des idéaux oppressants, …
Enfin, les causes du stress d’une personne peuvent se situer dans sa vie personnelle.

Pour conclure sur cette option (éradiquer les sources de stress), même si on acceptait de la considérer comme réaliste, cela poserait un autre problème. Nous avons évoqué les conséquences dangereuses d’un stress chronique mais il faut rappeler que l’absence de situations stressantes, autrement dit l’absence de problèmes autres que routiniers à résoudre, a aussi des effets néfastes sur les personnes. Elle empêche d’apprendre de nouvelles façons de faire et de résoudre, de développer son potentiel ; elle ne permet pas de vivre ces moments où l’on ressent une satisfaction, de la fierté, une estime de soi, un sentiment d’utilité, constitutifs du bien-être et de la santé. Plus ennuyeux l’absence de problèmes à résoudre et donc de stress, peut finir par être une cause d’apathie (ennui, désintérêt pour son activité, perte de motivation et d’énergie, ….).

Si l’idée de chercher à éliminer les sources de stress s’avère peu probante, la problématique reste entière : comment ne conserver que le côté positif du mécanisme (permettre de développer nos capacités à faire face à de nouveaux défis), sans laisser s’installer un stress chronique et ses effets dévastateurs.

D’autres possibilités, souvent proposées, seraient d’apprendre à gérer son stress ou plus récemment, en lien avec les recherches en Neurosciences, de développer son « intelligence adaptative ». Cette intelligence, toujours selon les tenants des Neurosciences, résulte d’un état d’esprit alliant curiosité, souplesse, nuance, prise de recul et de hauteur, réflexion logique …

Ces options reposent sur un mythe de la maîtrise possible de soi et crée un modèle, une sorte d’obligation, de ce vers quoi l’individu doit aller pour savoir tirer profit du stress. Le risque est une nouvelle forme de Taylorisme qui portera cette fois, non plus sur l’organisation ou la façon de travailler mais sur la façon d’être. Une sorte de dressage social où chacun doit développer et maîtriser un savoir bien-vivre les situations complexes, savoir faire face et riposter.

Or ce présupposé idéologique, d’un tel potentiel chez chaque individu, dénie la réalité.
Les risques sont alors de voir des collaborateurs sous pression et en difficulté face à un tel attendu mais sans possibilité de le dire (puisque ce serait prendre le risque de montrer une insuffisance) et donc sans possibilité d’être soutenus et pris en compte. Autrement dit, les risques sont, tant pour ceux qui ne correspondent pas au prérequis que pour ceux qui arrivent à s’en rapprocher, de s’user et de connaître à terme les effets dévastateurs pour eux et coûteux pour l’entreprise, de la suradaptation, du stress chronique.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous ne pensons pas que l’incitation à développer sa capacité à gérer le stress ou à renforcer son « intelligence adaptative » soit une réponse à la problématique posée : comment faire pour que les situations stressantes soient sources de développement du potentiel de chacun et du bien-vivre son travail et non source d’usure et de risques pour la santé.

Le travail de recherche que nous avons réalisé, associé à nos expérimentations et notre confrontation au terrain, nous a permis de comprendre que c’est un certain nombre de conditions psychosociales qui font que les problèmes à résoudre, les défis à relever, génèrent de la mobilisation, de l’agilité, de l’ingéniosité pour faire face, tout en maintenant un bien-vivre son travail.
Ces sources de stress, en présence de certaines conditions que nous avons clairement identifiées, font que s’auto-engendrent la capacité à riposter, l’adaptabilité, l’efficacité sans les conséquences destructrices du stress chronique.

Sans les exposer ici, ce n’est pas l’objet de cet article, nous pouvons affirmer que lorsque ces conditions sont présentes, elles permettent à chacun, en tenant compte de son potentiel et de ses limites, de donner le meilleur de lui-même, d’en retirer une réelle satisfaction et de préserver, voire renforcer sa santé.

En résumé

Le mécanisme du stress en lui-même n’est pas négatif ; au contraire il est là pour permettre à l’homme de s’adapter à son environnement.
Les conséquences, de ce système intrinsèque à l’homme, peuvent être positives mais elles peuvent aussi avoir raison de sa santé.
Pour que les conséquences du stress restent bénéfiques et pour lutter contre le stress dit « chronique », vouloir éradiquer les sources de stress ou vouloir que l’individu développe son intelligence adaptative, sont qui nous semblent peu réalistes et qui ont toutes les chances de se révéler contre-productives et préjudiciables.
Huit conditions psychosociales suffisent mais sont indispensables pour que le stress, indissociable de la vie et encore moins du travail, remplisse sa fonction initiale : favoriser l’adaptabilité de l’homme et son bien-vivre.