Le Labo

Le management d’équipe est censé aider les encadrants à développer l’agilité, la performance et le bien-être au travail. Et pourtant …

Malgré l’empilement de formations et démarches, toutes plus prometteuses les unes que les autres, les résultats déçoivent.
Les résistances aux changements, les démotivations, les peurs face aux incertitudes, les manquements, …, persistent.
L’agilité, la QVT [1] ne se développent pas.
Les services RH et les managers sont submergés et s’usent. Les entreprises n’obtiennent pas les gains de vitalité et de performance espérés.
Est-ce une fatalité ? Est-il possible de sortir de cette impasse coûteuse ?

 

L’origine et les enjeux du management d’équipe.

Toute relation de travail entre un salarié et son employeur est avant tout régie par un lien de subordination [1].
Le lien de subordination est caractérisé par le devoir du salarié de réaliser un travail, de se conformer à des instructions, sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C’est un élément fondamental, fréquemment oublié, de la relation entre un salarié et son employeur. Le second a un projet et un besoin de main d’œuvre pour le réaliser. Il édicte des tâches et des missions à effectuer, des objectifs à atteindre, des règles et des procédures à respecter, en contrepartie d’une rémunération. Le salarié, lorsqu’il signe son contrat de travail, accepte ce lien de subordination. C’est ce lien qui distingue le contrat de travail du contrat de prestations de services où le prestataire fournit aussi un travail rémunéré mais garde son indépendance et n’est pas sous les ordres du client.

Force est de constater que malgré cette position légitime d’autorité, l’employeur et ses encadrants sont régulièrement en difficulté pour obtenir que leurs directives soient pleinement appliquées.

C’est pour répondre à cette insuffisance du lien de subordination, qu’est né le management d’équipe et que depuis plus d’un siècle, ses tenants cherchent à répondre à cette question : « comment obtenir, au-delà du pouvoir de direction et disciplinaire, que les personnes fassent ce qu’on attend d’elles, se comportent comme on le voudrait ? »

A l’époque de Taylor, l’Organisation Scientifique du Travail (OST) née vers 1880, fut censée être la meilleure façon de s’organiser et de manager pour obtenir  des salariés qu’ils exécutent leurs tâches avec discipline, rigueur et rendement.

Plus tard, face à un contexte économique plus contraignant, les managers durent amener leurs équipes à se mobiliser dans l’amélioration continue, dans la production en juste à temps, au coût le plus bas, avec zéro défaut.
Le Système de Production de Toyota élaboré vers 1962 (STP, dont Taiichi ôno fut le père) fut le nouveau mode de management qu’il fallut alors apprendre à maîtriser.

En continu depuis le courant des Relations Humaines né vers 1930 (Elton Mayo, Jacob Levy Moreno, Kurt Levin, …) les nombreuses théories de la motivation qui se sont succédées et continuent à affluer, affirment qu’en identifiant les besoins psychosociologiques de l’Homme et en sachant comment y répondre, les managers obtiendront des collaborateurs (trices) qu’ils ou elles s’investissent pleinement dans les projets de l’entreprise.
Le nombre de formations, d’outils, de tests et de grilles de lecture déployés, pour apprendre aux managers à cerner à qui ils ont à faire et comment agir face à chaque profil, est impressionnant.

Aujourd’hui, où l’entreprise doit relever des défis de plus en plus rudes dans un environnement de plus en plus complexe (souvent baptisé VUCA [2]), les managers sont censés :
– savoir fédérer des équipes tout à la fois agiles, adaptables, investies dans le changement, mobilisées malgré l’absence de visibilité, sachant travailler en cohésion et en intelligence collective
– tout en s’assurant qu’elles vivent bien leur travail (prévention des RPS et développement de la QVT).
Chaque jour de nouvelles approches en management leur garantissent que c’est facile. Il suffit d’avoir les bonnes clefs. Voici quelques exemples de ces approches prometteuses :
« Les postures clefs du manager pour maintenir la cohésion, l’efficacité des équipes à distance »
« La communication positive et non violente pour obtenir la mobilisation, l’agilité et la collaboration »
« Les clefs qui font des équipes productives en temps d’incertitude »
« Les méthodes de l’entreprise libérée, pour rendre les équipes heureuses et productives »
« La prévention des RPS, les conditions de la QVT, pour que ses équipes vivent bien leur travail »
« Les méthodes de co-développement  pour développer la collaboration et l’intelligence collective »
« Le renforcement de son leadership, pour être entouré d’équipes responsables, performantes et bien dans leur travail »
« Les clefs de la conduite du changement pour que les équipes s’y impliquent pleinement »
« L’excellence opérationnelle pour fédérer des équipes efficaces »
Etc.

 

Malgré 100 ans d’empilement de solutions prometteuses, la difficulté à obtenir des équipes qu’elles fassent et soient comme l’employeur le voudrait, reste entière.

Aucune approche, de Taylor à ce jour, n’a permis :

  • que les hommes et les femmes qui travaillent répondent de façon prévisible et reproductible aux stimulis managériaux
  • qu’ils ou elles se conforment aux façons, de travailler et de se comporter, définies par l’entreprise ou son management
  • qu’ils ou qu’elles vivent mieux leur travail

Les collaborateurs, toutes fonctions confondues, ont toujours gardé leur liberté individuelle ou collective d’adhérer ou de s’opposer à un projet, à un changement ; d’atteindre ou de rendre irréalisables les objectifs fixés ; de respecter ou d’enfreindre les procédures et les règles établies ; de prendre en compte ou de rejeter les valeurs de l’entreprise ; de contribuer à l’agilité, à la cohésion, à l’intelligence collective demandées ou de s’en exclure, voire de les entraver. Ceci quels que soient les outils, les organisations ou les modes de management mis en œuvre.

La qualité de vie au travail (QVT) ne s’améliore pas. Loin s’en faut si on se réfère à différentes études de l’évolution de cet item dont la dernière enquête Summer (2017).

Les managers sont nombreux à se sentir en surcharge et en échec. Chaque jour ils sont confrontés à une surabondance de nouveaux savoir-faire managériaux auxquels ils doivent se former et qu’on leur demande de mettre en place.

Chaque jour ils observent qu’ils n’obtiennent, malgré tout, pas d’équipes plus motivées, plus adaptables, plus faciles à manager ni à impliquer dans le changement constant. Ils ne voient pas non plus les personnes vivre mieux leur travail.

Je rencontre d’ailleurs toujours autant d’encadrants qui, bien qu’ils se soient formés à toutes les techniques de communication, de développement de leur leadership, de conduite du changement, de renforcement de la cohésion, d’animation de l’intelligence collective, de prévention des RPS, etc., continuent à me demander : « comment fait-on face aux résistances aux changements ; comment remotiver les personnes en doute ; comment renforcer la cohésion ; comment rendre les équipes plus agiles et plus adaptables ; comment préserver la QVT alors qu’on demande de plus en plus d’adaptabilité et de productivité ; … ? »

En résumé, les budgets conséquents et le temps de travail considérable investis dans toutes ces approches managériales prometteuses, ne rapportent pas ce qui était escompté.

 

Pourquoi les méthodes de management, des plus anciennes aux plus récentes, sont-elles dans l’impasse?

Pour répondre à cette question il faut d’abord mettre en évidence leur objectif, peu perceptible, et pourtant premier :
La très grande majorité des modes de management préconisés, ne se focalise pas sur cette question : « comment faire au mieux pour qu’un projet aboutisse, pour que le travail demandé soit réalisé, pour que les objectifs soient atteints, pour que les règles soient respectées et qu’une Q.V.T. soit préservée ? ».

Elle vise, souvent sans s’en rendre compte, un tout autre objectif : une transformation de l’Homme singulier et de sa finitude en un Homme modèle, stéréotypé et sans limite d’adaptation. L’idée étant probablement que l’avènement de cet Homme idéalisé  résoudrait tout puisqu’il serait capable de faire aboutir n’importe quel projet, même les plus irréalisables, en toutes circonstances.

Les offres actuelles de formation et d’accompagnement en management d’équipe ne nous proposent pas de nous guider face à cette problématique : « comment faire, dans un contexte de plus en plus complexe, pour que les projets d’entreprise aboutissent, pour continuer à développer une performance économique et sociale avec   ̏ l’Homme Réel   ̋ [3] ? ».

Elles nous proposent des savoir-faire et des clefs susceptibles de faire que les équipes deviennent chaque jour un peu plus et tout à la fois : agiles, adaptables à toutes situations, mobilisées face aux incertitudes, investies dans le changement permanent, collaboratives, promotrices de l’intelligence collective et de la cohésion, heureuses dans leur travail, ….

En d’autres termes, les tenants du management d’équipe (auteurs, consultants, écoles, …) sont, depuis l’origine de cette discipline, dans un refus de   « l’Homme Réel ».

Ils cherchent comment le faire grandir, comment en faire un  « Homme augmenté » ou « transformé » [4].

Or, cette volonté de formater les collaborateurs (trices), de les amener à se conformer à un modèle, est irréaliste.
Elle repose sur des illusions :

  • L’adaptabilité et le potentiel de l’Homme seraient sans limites : « quand on veut on peut !».
  • Sauf cas marginaux, il ne demanderait qu’à développer ses savoirs et capacités. La recherche du dépassement de soi lui serait intrinsèque.
  • Il serait généralement plutôt lucide, cohérent, raisonné, rationnel et chercherait à prendre en compte ce qu’on attend de lui, à assumer le mieux possible ses responsabilités, à agir dans l’intérêt commun (le sien, celui des autres), en conscience des enjeux et des contraintes.
  • Ses besoins, ses motivations, les stimulis qui le font réagir de façon prévisible, seraient inventoriables.
  • Il serait possible de trouver des approches et des outils de management qui permettraient d’obtenir de lui, les comportements et les états souhaités, de l’amener là où on le veut selon les besoins du moment (être un exécutant qui ne pense pas mais se montre rapide, rigoureux, discipliné à l’époque de Taylor ; se mettre à réfléchir dans les cercles de qualité du toyotisme et contribuer à l’amélioration continue ; grandir encore pour devenir aujourd’hui un collaborateur, une collaboratrice, autonome, ingénieux(se), adaptable à toutes évolutions, mobilisé(e) dans le changement constant, contribuant à l’intelligence collective, heureux dans son travail, …)

L’observation de ce qui se passe au sein des entreprises, les travaux de recherche destinés à mieux comprendre l’Homme au travail [10], nous montrent que la réalité est toute autre :

  • L’Homme Réel a du potentiel et peut, s’il le veut et sous certaines conditions, apprendre et développer ses capacités, affronter la réalité, relever des défis, résoudre, donner le meilleur de lui, … mais il n’est pas tout puissant. Il est résolument fini, limité et se confronte tôt ou tard, dans sa quête d’autonomie, à son plafond de verre, à ses manques et ses besoins de l’autre [5]. Quelle que soit sa volonté, il ne pourra pas tout.
    Qui plus est, il est singulier. Chacun a ses atouts, ses possibilités, ses limites, son profil. Il n’est ni réductible à un modèle, ni stéréotypable.
  • Le développement de ses compétences, le dépassement de soi, ne sont pas des motivations communes à l’humain. Elles caractérisent un certain nombre de personnes qui, en lien avec leur histoire et leur construction, aspirent à constamment repousser leurs limites. D’autres préfèrent s’appuyer sur leurs acquis et continuer à bien réaliser ce qu’elles savent faire. D’autres encore, ne se mobiliseront pour accroître leurs capacités que dans un domaine particulier, dans des circonstances spécifiques, mais elles ne le feront pas dans d’autres situations.
    Il n’est pas rare de voir le management d’équipe, s’inspirer de celui des sportifs, pour obtenir chez les premières le dépassement de soi observé chez les seconds. Or les deux situations n’ont rien de comparables. Les sportifs font ce qu’ils ont choisi, vivent leur passion, se nourrissent de la compétition  et ont presque toujours une construction qui les pousse à aller toujours plus loin. Beaucoup de salariés travaillent pour gagner leur vie, n’ont pas forcément choisit leur activité, ne vivent pas avec les mêmes enjeux. Sortir constamment de sa zone de maîtrise, s’adapter sans cesse, développer son agilité, apprendre à rester serein et résilient en périodes d’incertitudes, … sont des challenges qui mobilisent les athlètes mais pas forcément les collaborateurs (trices) d’une entreprise.
    En résumé, la recherche du dépassement de soi n’est pas intrinsèque à l’Homme. Elle ne se décrète pas, ni ne se régente.
  • L’Homme Réel n’est pas avant tout soucieux de répondre aux attentes de son entreprise. Il n’est pas non plus un être rationnel [6], agissant avec discernement.
    Il est construit pour, d’abord et en toutes circonstances, obtenir ou préserver ce qui lui importe. Lorsqu’on lui demande aujourd’hui d’accepter le changement constant, de s’adapter, d’être agile, de contribuer à l’intelligence collective, … il n’ira dans ce sens que s’il estime que c’est son intérêt premier. Et bien évidemment cet intérêt est propre à chacun : une recherche de réalisation, une envie de relever des défis pour les uns ; une soif de pouvoir, de responsabilités pour d’autres ; le besoin de d’abord et avant tout être aimé, entouré et donc de maintenir le lien avec son entourage ; la recherche de sécurité, de stabilité ; un besoin fondamental  de s’opposer à l’autorité ou bien celui de s’y soumettre ; etc.
    Ce après quoi chacun court, comme ce que chacun défend n’a rien de très raisonné, ni de très logique, ni même de très conscient. Nos buts et nos réactions sont souvent régis : par notre histoire, par la façon dont nous nous sommes construits, par notre éducation, par des modèles auxquels nous voulons correspondre ; par des blessures que nous voulons recouvrir, par des frustrations sur lesquelles nous voulons prendre une revanche ; par des personnes autour de nous qui réveillent nos défenses ou notre adhésion sans qu’on sache pourquoi ; par l’actualité de notre vie qui nous crée de nouvelles obligations ou de nouveaux besoins, …
    Ces intérêts peuvent être contradictoires chez une même personne, provoquer des conflits intrapsychiques. Ils peuvent aussi être incompatibles avec ceux d’autres acteurs et créer des conflits entre personnes, entre équipes, entre services.
    Ces quêtes qui nous animent, plus impulsives et irréfléchies que muries et pesées, poussent régulièrement l’individu à privilégier la satisfaction d’un profit immédiat – qui parfois n’en n’a que l’apparence – quitte à mettre en péril des bénéfices bien plus importants. Prenons l’exemple de moments où l’un d’entre nous, touché dans ses valeurs ou voulant imposer sa raison, va entrer en conflit avec d’autres sans voir que les conséquences seront bien plus coûteuses que le problème premier. Ou encore celui de personnes qui ne respectent pas des consignes de sécurité et risquent leur santé, leur vie ou celle de tiers, parce qu’elles ne veulent pas subir de contraintes ou pour montrer qu’elles n’ont peur de rien ou encore pour gagner du temps.
    Pour finir de montrer que l’Homme est loin d’être aussi rationnel qu’on le voudrait, ajoutons que ses stratégies pour satisfaire ses intérêts, varient constamment, de façon imprévisible. Elles sont inventées par chacun, changeantes, de façon séquentielle en fonction de l’évolution du contexte et des enjeux. Elles sont décidées, improvisées avec une cognition et une clairvoyance qui restent humaines et donc restreintes.
  • C’est toute cette irrationalité ou « rationalité limitée », toute cette complexité, qui font que les conduites des hommes et des femmes au travail ne sont ni inventoriables, ni prévisibles, ni stéréotypables, ni contrôlables.

Cette réalité, bien éloignée des illusions du management d’équipe listées plus en amont, nous révèle pourquoi aucune approche managériale n’a jamais permis et ne permettra jamais de contrôler, de « dompter » l’individu pour en faire le collaborateur modèle du moment.

L’Homme Réel – quelque soit son rôle et son statut –  gardera toujours sa singularité, sa finitude, sa rationalité limitée, sa liberté, son imprévisibilité.

 

Ces approches managériales construites sur des illusions, sur des pensées paresseuses qui ignorent ce que nous enseignent l’observation et les sciences psychosociales du travail [10], coûtent très cher aux entreprises

Comme évoqué plus haut, l’empilement de formations, démarches, méthodes de management, prometteuses d’équipes mobilisées, efficaces, agiles, heureuses, … consomment beaucoup de temps et de budgets sans donner les résultats espérés.
Les managers sont submergés et mis en échec parce qu’orientés vers une transformation inatteignable de leurs équipes. Ces dernières ne sont ni plus motivées, ni plus performantes, ni plus heureuses.

Mais ce ne sont pas les seules conséquences néfastes :

  • Le temps consacré par les managers à chercher comment façonner les équipes au regard de modèles irréalistes, n’est ni consacré à résoudre ce qui dysfonctionne et pénalise l’entreprise, ni à rechercher l’amélioration continue et l’innovation constante.
    Il en résulte que les mêmes problèmes de collaboration (tensions, conflits, retraits, démotivations, …), techniques, organisationnels, de moyens inadaptés, continuent à se répéter au quotidien.
    Cette répétition génère des pertes de temps conséquentes, usent ceux qui y sont confrontés, finit par provoquer des départs non souhaités et un absentéisme supérieur à la normale.
  • Les tentatives d’amener les personnes à être ce qu’on veut qu’elles soient, de par leur insistance, acculent un bon nombre d’entre elles au retrait, à la démotivation, à la résistance ouverte ou cachée.

Toutes ces conséquences engendrent des coûts cachés considérables, inutiles et évitables :

  • les  pertes de chiffre d’affaire et de rentabilité, dues à une productivité, une réactivité, une qualité, une compétitivité, inférieures à ce qu’elles pourraient être.
  • les dépenses devenues indispensables pour réparer ou compenser (le temps passé pour corriger les non conformités, régler les problèmes récurrents non résolus ;  les sureffectifs pour compenser les pertes d’efficience ; les recrutements et formations de nouveaux arrivants liés à un turn over excessif ; le remplacement des personnes absentes ; etc.)

Ces coûts sont estimés selon certaines études, entre 20 000 et 70.000 € par personne par an [7] ! Une entreprise de 100 salariés générerait donc entre 2 et 7 millions de couts évitables par an. Même en supposant que ces chiffres soient surestimés et en les divisant par 10, nous arrivons à une fourchette de 2 000 à 7 000 € par salarié par an, soit des coûts cachés de l’ordre de 200 000 à 700 000 € pour un effectif de 100 personnes !

 

Il est temps de s’éloigner des orientations prises par le management d’équipe, depuis des décennies.

Il est primordial de cesser de reproduire les mêmes erreurs, de sortir des illusions et des impasses ; il est urgent de prendre en compte la réalité et de changer de cap.

Le droit de direction et le lien de subordination, rappelés en introduction, bien que légitimes et à priori acceptés par toute personne qui signe un contrat de travail, ne suffisent pas à obtenir que chacun fasse et se comporte comme l’employeur le veut.

Les tentatives incessantes, des auteurs et conseils en management d’équipe, de trouver les clefs qui permettraient aux entreprises et à leurs encadrants de transformer l’Homme en un mythe [8] sont un échec persistant et coûteux pour les employeurs, pour les managers, pour les équipes.

La réussite des projets d’entreprises, le développement de la performance économique et sociale, n’adviendront qu’en changeant de focale, qu’en se posant enfin cette question : « comment faire pour que le travail voulu soit réalisé et que les objectifs visés soient atteints, comment développer l’efficience et la qualité de vie au travail, avec l’Homme Réel, avec sa singularité, avec ses limites ? »   

 

Il est temps de quitter les illusions du « management transformationnel [9] des équipes », de passer au « management du travail et de la performance, avec l’Homme Réel ».

Cessons de submerger les managers, d’outils et d’approches chimériques. 
Cessons de les mettre en difficulté, en leur indiquant une voie sans issue, en leur faisant miroiter la possibilité d’être entourés d’équipes idéales et heureuses s’ils développent leur leadership ou possèdent les clefs miracles du management.

Aidons les entreprises à prendre conscience de ces utopies coûteuses entretenues depuis des décennies par la grande majorité des conseils en management d’équipe.

Transmettons-leur les enseignements, encore tellement méconnus, issus de l’observation de l’Homme au travail [10].

Donnons-leur accès aux façons simples de s’y prendre, non pas pour transformer leurs équipes, mais pour que les objectifs soient atteints avec elles et leur singularité.

Voici, à titre d’exemples, quelques connaissances et principes dont l’entreprise d’aujourd’hui doit s’emparer si elle veut passer d’un management d’équipe illusoire à un management réaliste de la performance économique et sociale :

      1. Le lien de subordination et son acceptation sont les facteurs essentiels qui fondent la relation entre l’entreprise et ses salariés (Cf. introduction). Leur rappel est indispensable pour éviter de nombreux malentendus et conflits liés à la libre interprétation de chacun de ce qui devrait régir la relation de travail entre une Direction et ses équipes.
        Mais si on veut s’éloigner des dérives et des impasses coûteuses du management transformationnel, ce lien de subordination ne doit pas être :
        – celui du formatage des personnes ou de la négation de l’individuation. Il doit se limiter à définir le travail à réaliser, les objectifs à atteindre, les règles à respecter … et non décréter l’Homme modèle, corrigé et stéréotypé qu’il faudra être ;
        – celui de l’omnipotence et du déni de la réalité.
      2. La focale du management et des équipes doit :
        – devenir le travail à réaliser avec efficience et la résolution de ce qui le freine
        – s’éloigner de l’idée de transformer l’Homme Réel (de se transformer soi-même) en un Homme idéalisé
      3. L’Homme Réel peut, s’il le décide, donner le meilleur de lui, contribuer au mieux à la réalisation d’un projet, vivre au mieux son travail. Mais « donner le meilleur de soi », « se sentir au mieux », ça n’est pas « devoir devenir un autre », « devoir se dépasser pour exceller en tout », « devoir s’adapter constamment, s’oublier et chercher à correspondre à des modèles », « devoir positiver et être heureux ».
      4. Cette volonté de donner le meilleur de soi, de vivre au mieux son travail, ne se régente pas et ne s’obtient pas de l’extérieur grâce à un quelconque leadership ou une quelconque méthode de management.
        Elle ne peut que résulter, chez celui ou celle qui le veut, d’un processus d’évolution interne et de certaines conditions qui le permettront.
        Je ne détaillerai ici ni ce processus, ni ces conditions, mais je peux dire que cette possibilité de chercher à donner son meilleur, à vivre au mieux son travail, ne se fera que si la personne a le sentiment d’y trouver son intérêt (propre à chacun et fréquemment d’une rationalité limitée).
      5. On voit fréquemment les enjeux de l’entreprise s’opposer avec les motivations de ses membres. On veut, de part et d’autre, que ses intérêts soient premiers et l’emportent.
        Or, toute entreprise a besoin, pour atteindre ses objectifs, de la participation active de ses membres. Et tout salarié a besoin de son entreprise pour que ses propres objectifs puissent se réaliser. La réalisation des objectifs des acteurs et celle des enjeux de l’organisation doivent s’accommoder. L’organisation ne pourra poursuivre ses ambitions qu’au travers de la poursuite de celles des acteurs et vice versa.
      6. Certaines situations, quelles que soient les façons de s’y prendre, révèleront parfois une impasse mais une impasse n’est pas un échec.
        Une difficulté qui ne se résout pas peut tout simplement révéler une réalité qu’on ne voulait pas voir : un projet qui s’avère impossible à réaliser ; un profil en inadéquation avec un travail à réaliser ; un refus, après-coup, du lien de subordination ;  des conditions nécessaires qui ne sont pas réunies ; …
        L’impasse peut être l’occasion d’éviter un acharnement coûteux, une opportunité pour se réinterroger et prendre les décisions les plus pertinentes : changer ce qui peut l’être pour pouvoir continuer ; accepter que les modifications qui seraient nécessaires ne peuvent être mises en œuvre et ajuster le projet en conséquence ou y renoncer ; etc.
      7. Un management réaliste du travail et de la performance, avec l’Homme Réel, ne peut pas reposer sur les seules épaules des managers si aguerris soient-ils. Il nécessitera une collaboration constante entre tous les acteurs (Direction, service RH, managers, équipes, instances représentatives, …)

Seul cet abandon du « management transformationnel des équipes » pour développer un « management du travail et de la performance, avec l’Homme Réel», permettra à l’entreprise de voir :

  • ses managers retrouver du souffle,
  • ses collaborateurs chercher, pour la plupart, à donner le meilleur d’eux-mêmes,
  • l’agilité, la performance et un « vivre au mieux son travail » se développer.

 

Comment fait-on pour passer de l’un de l’autre ?

Comment mettre en place concrètement et simplement les quelques principes évoqués plus haut ?

Comment faire pour que l’entreprise et l’ensemble de ses acteurs s’allègent, sortent des sentiers battus si souvent remplis d’ornières couteuses ?

Cette question est un autre chapitre. Il est écrit. Les réponses qu’il propose sont plébiscitées par les entreprises que nous avons accompagnées dans leur mise en œuvre. Il sera prochainement publié.

Notes

[1] Le lien de subordination dans le cadre du contrat de travail – Samuel Goldstein – www.legalplace.fr
[2] Volatility, Uncertainty, Complexity et Ambiguity
[3] « L’Homme Réel » désigne ici l’Homme singulier avec sa personnalité, son profil, ses compétences, qui lui sont propres. C’est aussi l’Homme résolument fini, ayant des limites comme tout un chacun mais propres à chacun.
[4] « L’Homme augmenté » ou « l’Homme transformé » désigne ici, par opposition à « l’Homme Réel », un Homme idéalisé, stéréotypé, complet et doté d’un potentiel illimité.
[5] Cynthia Fleury – les irremplaçables –
[6] Erhard Friedberg Le Pouvoir et la Règle (1993) – Michel Crozier et Erhard Friedberg  L’Acteur et le Système (1977)
[7] LA MÉTHODE DES COÛTS CACHÉS – Laurent Cappelletti, Olivier Voyant, Henri Savall – Association Francophone de Comptabilité – « ACCRA »  – 2018/2 N° 2  pages 71 à 91
[8] Le mythe évoqué ici est celui d’un être rationnel, réfléchi, privilégiant l’intérêt supérieur ou commun plutôt que les siens ; avant tout au service de son entreprise, imprégné des valeurs qu’elle édicte ; hier capable d’obéir, d’exécuter sans penser ; aujourd’hui autonome, responsable, agile, ingénieux, collaborant à l’intelligence collective, sans failles, sans freins, sans limites, cherchant à se dépasser, stimulé par le changement constant  … et bien évidemment heureux au travail
[9] Le « management transformationnel » dénomme ici, le management qui vise la transformation des hommes et des femmes qui travaillent en salariés modèles (Cf. en amont, mes propos sur l’ « Homme réel » et l’ « Homme augmenté »
[10] « L’observation de l’Homme au travail » dont nous parlons, réunit : celle que nous réalisons depuis plus de 25 ans en accompagnant les entreprises, leurs managers et leurs équipes ; celles faites par les auteurs des sciences psychosociales du travail.
Les « sciences psychosociales du travail » auxquelles nous nous référons, regroupent les travaux, expérimentations, publications que nous recensons, étudions, croisons depuis plus de 15 ans :

    • de la psychologie du travail dont la Clinique de l’activité, la Psychodynamique du travail, les Cliniques du travail
    • de la sociologie
    • de la sociologie des organisations
    • de la psychologie du développement
    • des études réalisées sur le monde du travail par de nombreuses commissions à la demande d’un ministère, d’une fédération patronale ou syndicale, d’une association
    • de la psychologie, la psychologie cognitive, la psychologie clinique
    • de l’ANACT, la CARSAT, l’INRS
    • sur le stress
    • sur la résilience
    • sur les Risques Psychosociaux
    • sur de nombreux sujets tels que : le Taylorisme ; le Fayolisme ; le Fordisme ; le Toyotisme ; l’Ecole des relations humaines ; la Sociothecnique ; les études sur les rapports de pouvoir, l’autorité, le leadership ; les différentes formes de management telles que le management participatif, situationnel, par objectifs… et leurs outils ; l’intelligence collective ; les différentes techniques de communication interpersonnelle ; les différents outils de développement personnel ; les nouvelles formes d’organisation dont le « juste à temps », le « lean management », « l’organisation apprenante », « l’entreprise libérée », …