Le Labo

La semaine annuelle de la Qualité de vie au Travail vient de prendre fin. Attention aux illusions…

Elle vient de battre son plein pour la 19ème année consécutive. Elle est censée inciter les entreprises et les institutions à agir pour que se développe « un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement », pour que se conjuguent la performance économique et sociale[1].

L’intention est indiscutablement estimable et méritoire.

 

C’est ce qui est préconisé comme moyens d’actions qui pose problème. Le risque est de taille puisque ces prescriptions pourraient au final empêcher, voire dégrader la Qualité de vie au Travail souhaitée, l’agilité, la performance.

 

D’un côté, maintes publications ou propositions de prestations laissent supposer que la QVT dépend essentiellement de l’agréabilité du lieu de travail, de la convivialité et de la facilitation d’une hygiène de vie.

Il suffirait pour que les collaborateur.rices.s se sentent bien et soient performants, de :

  • développer les moments de convivialité (petites déjeuners, repas d’équipes sorties, séminaires de cohésion, …)
  • créer des espaces cosys de repos, de sieste, de pause
  • améliorer l’agréabilité des locaux (mobiliers, couleurs, éclairages, …)
  • investir dans des programmes de bien-être (massages, cours de yoga, salle de sport, sensibilisation à une alimentation saine, …)

Cette vision très réductrice mais encore très répandue, incite beaucoup d’organisations à prendre ces mesures assez coûteuses en étant convaincues que dès lors les équipes iront bien, seront plus mobilisées et plus efficaces. Certes le confort, l’agrément et la possibilité d’entretenir leur hygiène de vie pour ceux qui y sont sensibles, sont d’abord appréciés notamment lorsqu’ils font place à des lieux arides, rudimentaires, sans possibilité de souffler ou de faire attention à soi.

Mais à terme les résultats sont presque toujours décevants. Les baromètres sociaux qui viennent mesurer l’impact des améliorations mises en œuvre ne révèlent pas que les personnes se sentent mieux ni qu’elles sont plus impliquées. On peut même voir la situation se dégrader.

La raison essentielle est que les mesures prises ont rendu le contexte plus agréable mais elles n’ont rien réglé de ce qui peut chaque jour éteindre l’individu, l’insatisfaire, le stresser, l’user, l’inciter à se retirer (sentiment d’un manque de reconnaissance, perte de sens, collaborations déficientes, problèmes redondants non réglés, environnement ou changements à venir anxiogènes, …).

Plus ennuyeux, ces mesures prises peuvent inciter à ne plus parler de ce qui ne va pas, à rendre les problèmes rencontrés par chacun invisibles. On est en effet censé ne plus se plaindre quand on a la chance de bénéficier d’un environnement agréable, quand l’entreprise a investi pour plus de confort. Même non dite, cette injonction est induite et présente dans beaucoup d’esprits. Or, ce qui ne se dit pas reste enfoui, non accessible et ne peut être l’objet d’une recherche de solutions. Chacun cherche à « faire avec » et risque d’être confronté à plus ou moins court terme à une usure, a de la démotivation, voire à du mal être.

 

Pour d’autres intervenants et prescripteurs de méthodes QVT, la recherche de plus d’agréabilité au travail n’est pas une clef essentielle ou suffisante. Il s’agit plutôt de leurs points de vue de faire un état des lieux de tout ce qui peut nuire à la QVT.

Les conditions nécessaires à un bien-vivre son travail et qui seront diagnostiquées sont généralement prédéterminées selon des grilles qui varient en fonction des consultants et de leur appartenance.

Voici quelques exemples de ces conditions qui seront auditées :

  • Environnement de travail (physique, technique, organisationnel, …)
  • Rythme de travail ; intensité du stress
  • Conditions d’emploi (formation, carrière, égalité, parcours professionnel…)
  • Adéquation entre vie professionnelles et vie personnelle (temps de transport,, contraintes de vie, problèmes de santé, équilibre vie perso/vie pro, …)
  • Droit à la déconnexion
  • Communication transparente
  • Travail participatif (groupe de résolution de problèmes, débats sur le travail…), dialogue social
  • Conduite du changement
  • Soutien managérial (clarté des objectifs, reconnaissance…).
  • Soutien des collectifs (solidarité métier, travail en équipe, échanges sur les pratiques…).
  • Relations au travail
  • Autonomie au travail
  • Sens du travail (valeur et sentiment d’utilité)
  • Travail apprenant, intéressant, complet
  • …/…

A l’issue de l’état du diagnostic (via des questionnaires ou un baromètre ou des interviews, associés à l’étude d’indicateurs), un plan d’actions correctives sera établi puis censé être mis en œuvre souvent via des groupes de travail.

Là encore l’intention est louable mais les résultats sont loin d’être à la hauteur des espérances.

Ces approches sont très chronophages, mobilisent beaucoup de personnes qui parallèlement voient leur travail quotidien s’accumuler sans pourvoir le faire. Les plans d’actions qui en résultent sont écrasants et bien souvent impossibles à mettre en œuvre. Il faudrait des équipes à temps plein pour les déployer. La déception et le sentiment d’impuissance succèdent alors à l’optimisme et à la mobilisation. Les mesures de l’évolution de la QVT faites quelques mois plus tard montrent presque toujours une absence d’évolution quant au sentiment de bien-être au travail. Les performances de l’entreprise ne sont pas meilleures qu’avant.

Les raisons de l’échec de ces façons de faire sont multiples.

La méthodologie en est une. Décider qu’une fois par an on va faire un état de tout ce qui ne va pas et s’accumule depuis des mois puis le corriger ne peut que révéler un « inventaire à la Prévert » oppressant suivi d’un désemparement. La nécessité de cette démarche annuelle révèle que ce qui devrait se résoudre au quotidien, là où le problème se pose, reste sans solution et s’empile. C’est cet empilement qui pose problème et la réponse n’est pas de le rendre visible ni de vouloir s’y attaquer une fois par an. C’est la capacité de chacun, de chaque collectif, à dénouer au quotidien qui est à rétablir. Les organisations où cette agilité est effective n’ont aucun besoin de démarches QVT lourdes et peu efficientes pour qu’une qualité de vie en leur sein soit plébiscitée.

L’illusion entretenue qu’il suffirait, de résoudre tout ce qui ne va pas comme on le voudrait, pour que nous ressentions individuellement et collectivement un bien-être, pour que la QVT se développe, est une autre raison de l’échec de ces approches. La « décoïncidence » entre nos aspirations et la réalité ne cessera jamais. L’entreprise pourra mettre en œuvre toutes les mesures possibles, l’inadéquation entre les attendus de chacun et les réponses qui seront mises en pace demeurera jusqu’au jour où le travail s’arrêtera. Travailler c’est chaque jour chercher à faire son travail malgré tous les obstacles auxquels on se confronte (de l’absence de moyens au sentiment d’un manque de reconnaissance en passant par la crainte du changement …). C’est en même temps, chercher comment on va éliminer l’obstacle, résoudre ce qui ne nous va pas, que ce soit en obtenant ce qui nous manque ou en acceptant qu’il faudra faire avec ce manque ou encore en changeant de travail, … Le sentiment de bien-vivre son travail, de bien-être, dépend de cette possibilité de se confronter au travail à faire et de trouver une façon de régler ce qui nous pose problème… et non du fait qu’il n’y ait plus de tensions ou d’écarts entre ce qu’on veut ou doit atteindre et la faisabilité. Vouloir anticiper, éliminer les obstacles et les difficultés pour que ceux qui travaillent n’y soient plus confrontés, c’est leur ôter la possibilité d’aller bien.

Reste une dernière illusion, sans prétendre à l’exhaustivité, qu’il me semble important de déconstruire. Elle pourrait à défaut amplifier la déception de ceux qui cherchent à renforcer la QVT et en conséquence générer un rejet. Soucieux d’inciter les entreprises et institutions à agir pour améliorer la Qualité de Vie au Travail, beaucoup d’intervenants annoncent qu’une conséquence concomitante sera le gain de mobilisation et donc de performances. C’est faux. Ni la motivation, ni l’engagement, ni les compétences n’augmentent corrélativement avec une meilleure QVT. Ce qui est vrai, c’est qu’une QVT mise à mal peut provoquer à terme de l’usure, un retrait, des départs, … et donc nuire à l’efficacité, aux résultats. Y remédier permettra donc un retour à l’efficience. Mais ce n’est pas la même chose d’espérer qu’un rendement diminué redevienne normal et d’attendre une augmentation de l’implication, de l’investissement, de la responsabilisation et au final de résultats supérieurs à la norme. Laisser croire qu’investir dans l’amélioration de la QVT rendrait les équipes meilleures et doperait la productivité est néfaste pour ceux qui investissent et seront frustrés ; pour les collaborateur.rice.s qui sentiront qu’on attend qu’ils, elles, donnent plus et que la pression s’accroit.

 

Rappeler chaque année que le travail n’est pas censé générer du mal-être, des Risques Psycho Sociaux, des burnout, … et que les organisations doivent se soucier tout autant du bien-vivre son travail que de la performance, est certainement à maintenir. Mais il est temps de de mettre fin aux croyances erronées et aux illusions diffusées, aux conséquences néfastes qu’elles peuvent avoir.

Le sentiment de bien-être au travail ne résultera ni de l’agréabilité des lieux, ni des moments de convivialité, ni d’une sensibilisation à une hygiène de vie, ni de diagnostics et de plans d’actions correctives annuelles. Ces visions chimériques peuvent même contribuer à la dégradation du bien-vivre son travail et de la performance.

 

Le bien vivre son travail existe pleinement dans un certain nombre d’entreprise qui ne font aucune démarche particulière.

 

Comment font-elles pour que la Qualité de Vie au Travail se développe et se conjugue avec l’agilité et la performance, comment luttent-elles contre les Risques Psycho Sociaux sans démarches particulières QVT ou prévention des RPS ? 

C’est une des questions sur laquelle notre R&D travaille depuis des années. Elle a aujourd’hui rendu évidentes les 3 conditions qui génèrent naturellement et en même temps, le bien-vivre et la performance :

  • avoir intégré que le sentiment de bien-être est lié à autant de conditions et de déclencheurs différents qu’il y a d’individus (pour exemples : l’autonomie génère de l’épanouissement chez certains mais du stress chez d’autre ; les changements et défis stimulent des personnes et créent de l’anxiété chez d’autres . …) Chercher à circonscrire une liste des conditions qui fera le bonheur de tout le monde est une aberration
  • savoir que ce sentiment de bien-être ne peut que fluctuer mais être majoritairement présent lorsqu’on est confronté à des décoïncidences, à des obstacles et s’il est possible pour chacun de pouvoir agir pour sortir rapidement de ce qui lui pose problème
  • connaître les facteurs et façons simples qui font qu’au quotidien, chacun tout en travaillant, peut voir ce qui l’empêche d’avancer dans son travail et d’être satisfait, peut dépasser l’obstacle

 

 

Notes :

[1] Définition QVT – ANI 19/06/13 et 4ème plan de santé au travail.